Concours national des timbrés de l'ortographe
27/06/11 15:00
Le texte de la dictée est de Philippe Delerm.................J'ai voulu essayer. NON, je n'avouerai pas mon nombre de fautes.
C'est une idée amère, mais il faut bien le constater: le goût de l'amertume vient avec les années. Cela relève peut-être purement de la physiologie. Peut-être. Il y a des exceptions, comme en orthographe, mais c'est ainsi: on a rarement vu des écoliers faire la fine bouche devant les bonbons de la boulangère, que leur préférence aille aux rouleaux de réglisse incrustés
d'une pastille rose, aux crocodiles d'un vert ou d'un jaune presque phosphorescents, ou bien à ces petites langues parfumées au fruit de la passion, saupoudrées d'une neige acide. Tout cela est d'autant plus tentant que les parents se veulent très dissuasifs à l'égard de ces merveilles censées promettre un avenir redoutable. Mais les enfants vivent au présent, ou bien au futur proche. Préadolescents, ils gagnent en liberté. Dans les fast-foods, le pain américain et le ketchup ne sont jamais trop sucrés. Et puis le temps file. Dans les festivals de rock, on leur servira seulement de la bière, et que s'est-il passé? Quelques années auparvant, ils pinçaient les lèvres de dégoût devant la boisson fermentée qui tout à coup les désaltère.
Les effluves du houblon soudain appréciés, c'est bien le début d'une tout autre histoire. Les foudres engrangés dans les caves des abbayes wallonnes ne seront bientôt plus seuls en cause. Le goût adulte fait son miel des
bizarreries les moins ragôutantes : champignons kaki pour la couleur, spongieux quant à la texture, et pou l'odeur...Quand la pourriture se fait noble, c'est l'apogée triomphal du myycologue, de l'oenologue , du fromager, de tous ces gastronomes qui ont quitté leur culotte courte pour parler gravement des plaisirs haut de gamma, de la psalliote et du clitocybe, de l'appenzell ou du géromé. Quelques rares qu'ils puissent paraître, les noms que j'ai choisi d'inviter ici font l'ordinaire jubilatoire des spécialistes.
L'age venant, le "C'est un peu sucré" prend des allures de reproche, voire de constat rhédibitoire. Les huîtres et les oeufs d'esturgeon
tiennent le haut du pavé, et le vrai foie gras, celui dont la fausse douceur exhume un goût de fiel.Même les charmes anciens du chocolat sont dévoyés avec des taux ébouriffants de cacao.
L'amer apaise les adultes. A raffiner avec lui, ils se consolent du bonheur qu'ils n'auront pas trouvé. Mais le parcours n'est pas bouclé. A ceux qui connaîtront le très grand âge un goût d'enfance reviendra. Et ils pourront enfin sucrer les fraises en toute impunité.
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