Le réveil sonne. Il marque 4 heures 45. Je me lève et regarde par la fenêtre de la chambre. Il pleut, il pleut encore, il pleut depuis la fin de l’après midi.
De grosses averses se sont abattues dans la nuit. Les réverbères reflètent leur pâle lueur dans les flaques d’eau sur la place devant l’hôtel. Je commence à me préparer. Il fait frais, presque froid. Je pense soudain combien il serait agréable de me glisser dans le lit, de m’enfouir sous les couvertures et de me rendormir jusqu’à 8 ou 9 heures. Mais voilà, je n’ai pas fait 4 heures de route et affronté les bouchons de cette vague
de départs en vacances pour rester là à paresser dans une chambre d’hôtel à regarder tomber la pluie. Une riche journée m’attend.
Hier, j’ai tout préparé, accroché la puce à ma chaussure, préparé mon dossard et ma tenue de course. Finalement, j’ai opté pour un collant long. Tant pis, çà fait un peu touriste mais je crains le froid et je troque le coupe vent léger contre ma veste en Goretex imperméable et isolante.
Dans la salle du petit déjeuner quelques coureurs prennent leur dernière collation. Un café, noir. Il est trop amer et le Gatosport ne passe pas. J’ai bien dîné hier soir et il est trop tôt pour avaler un petit déj consistant. Un coureur rentre dans l’hôtel. Il est trempé et vient rechercher un tee-shirt manches longues. L’information glisse : je ne veux pas l’assimiler.
Me voilà en route, sous la pluie. Je ne suis qu’à 5 minutes à pied de l’aire de départ et il est inutile d’arriver trop tôt. Je ne tiens pas à retrouver Tony avant le départ. Il est trop rapide pour moi et je préfère rester dans ma bulle.
Les champions sont là : Vincent Delebarre, Christophe Jacquerot, Corine Favre, Magali. Hier, j’ai pu saluer Dawa. Ils sont venus se mesurer une ultime fois avant l’UTMB. Tout le gratin de la course à pied est là. Moi aussi je suis là. Moi aussi, je prépare l’UTMB. Mais pour moi, l’objectif est seulement de faire un bel entraînement, une longue sortie au moment où nos collines sont fermées et où la température atteint déjà les 27° à 9 heures du mat.
Briefing de départ. Le parcours est inchangé malgré le mauvais temps et l’organisateur est optimiste. Le temps devrait s’améliorer au fil de la journée.
6 heures 02 : les 800 participants du trail de Cerces s’élancent pour une boucle de 68 kilomètres.
Le départ est bien sûr un peu rapide pour moi, comme d’hab. Je trottine doucement sur ce chemin en faux plat montant. Les premiers kilomètres sont assez roulants et je me retrouve rapidement en queue de peloton, pas la lanterne rouge mais pas loin. Après avoir évité les premières flaques d’eau et de boue, j’ai maintenant les pieds et les chaussettes bien trempés. Pourvu que la NOK remplisse son office avec sérieux et obstination. Je quitte ma veste quelques instants et la bourre dans le sac avant de la remettre définitivement pour le restant de la journée. Il repleut.
J’atteins le kilomètre 13 au bout de 2 heures de course. Les bâtons sont maintenant autorisés. Là commence la véritable ascension du Galibier, lente et régulière. Je grimpe, grimpe
sans réfléchir, jette un coup d’œil sur la vallée mais le temps est bien couvert. Nous atteignons les 2500 mètres d’altitude. Il fait froid, très froid. J’apprécie mon collant long mais je commence à avoir les mains gelées. Tant pis, on verra plus tard. Le brouillard efface le chemin et j’ai bientôt l’impression de plonger dans ma dernière lecture de Stephen King. Vais-je voir surgir des bêtes monstrueuses, des araignées et des mouches géantes de cette brume compacte ? Le 1er ravitaillement est installé près de la stèle Desgrange. Je dois quitter mon sac pour en sortir les gants et le buff. Jamais je n’aurais pensé devoir m’en servir. J’aurais du les mettre plus tôt. J’ai les doigts mouillés et j’ai du mal à enfiler mes gants. Cet arrêt me glace jusqu’aux os. Je dois repartir et vite. Je pique quelques chips sur la table du ravitaillement exposé à tous les vents, cherche le chemin et me voilà repartie vers le sommet du Galibier et sa table d’orientation. Un sentier de schiste très raide se dessine dans le brouillard. Mes doigts sont des bouts de bois sans vie et j’ai du mal à tenir les bâtons. J’ai peur. Et si mes doigts mourraient, et si on devait m’amputer. Aux urgences un week-end du 14 juillet, ce serait vraiment pas de chance. Un bénévole nous encourage. « C’est le sommet, dans des conditions hivernales ! ». 2679 mètres.
Vite vite, j’attaque la redescente. C’est une question de survie. Je dois redescendre pour retrouver une température plus clémente. Je plains les pauvres coureurs qui sont partis avec petit short et tee-shirt.
La descente est raide et glissante. De l’herbe mouillée, de la boue, de la pluie. Quelques belles glissades. Peu à peu mes mains reprennent vie. Ouf, je l’ai échappé belle. Des mains sans doigts, çà n’aurait pas été joli !
Décidément, je ne suis pas faite pour les randonnées glaciaires.
La pente s’adoucit. L’endroit est bucolique, des fleurs, des moutons, des ruisseaux, des coureurs tout crottés. Je ne cours pas très vite mais j’avance bien. Nous atteignons le creux et c’est le début de l’ascension du 2ème col, les Rochilles.
J’atteins la 1ère barrière horaire, au kilomètre 30 avec une demi-heure d’avance. C’est pas énorme mais c’est encourageant. A nouveau le chemin se redresse. Je choisis le chemin le plus court et le plus raide en coupant les larges lacets de la piste et rapidement je traverse l’ancien camp militaire. Une éclaircie au passage du col m’offre une vue magnifique sur les lacs.
La longue descente, roulante à souhait me conduit aux chalets de Laval
que j’atteins avec 1 heure d’avance sur la 2ème barrière horaire. J’ai bien couru. Mais je réalise que je n’ai avalé que 2 gels énergétiques depuis ce matin. Le ravitaillement devrait être salutaire car la course commence là nous a prévenu l’organisateur. Il ne reste que du pain et des chips. Le gros du peloton a avalé les fromages et autres jambons tant attendus. Heureusement, j’ai dans mon sac un paquet de petits saucissons et des babybels. Je remplis le camel-bag. Je n’ai pas beaucoup bu. Le froid a accaparé toute mon attention. C’est le genre d’erreur qui peut être fatale et compromettre toute la course. Il faudra que j’en tire quelques enseignements.
Devant moi, se dresse la montée au col des Béraudes.