Grand Col Ferret -Champex

19 heures 09 - Grand col Ferret - kilomètre 93. Enfin le col ! On nous annonce que le serre-file est à 2 heures et demie ! Dommage, si j’avais été hors délais, c’était là une bonne excuse pour s’arrêter. La Fouly ! La Fouly ! La Fouly ! Je trottine ! Il faut faire attention à ne pas glisser sur ce chemin boueux ! Çà redescend ! J’ai mon objectif en tête : boucler les 8 kilomètres qui me séparent de la Fouly !

19 heures 56 - La Peule - kilomètre 97. Le ravitaillement est installé dans le refuge, exigu. Au fond, le poêle dégage une douce chaleur. Je ne dois pas m’arrêter ! Il y a trop de monde dans cet endroit confiné, il y fait trop chaud !
Je repars, je cours à travers champs, passe devant l’enclos aux cochons, manque de glisser 100 fois. Enfin la route ! Je marche vite ! Je cours ! Un concurrent est avec moi ! Il ne parle pas un mot de français. Mon esprit fatigué ne reconnaît ni l’italien, ni l’espagnol. Je ne connaîtrai jamais sa nationalité, mais nous partagerons ces quelques kilomètres, côte à côte. Il fait sombre sous les arbres. Je m’arrête et sors la frontale.

21 heures 10 - La Fouly - kilomètre 102. Cette fois je serai classée. Mais plus question d’arrêter là. Le terrible coup de barre est passé. J’ai résisté. Mais quel combat ! Contre la fatigue, le découragement, la lassitude, la pluie, le froid, la boue. Une bataille de chaque instant ! Une lutte sans merci ! Tout n’est pas gagné, mais au moins, je vais continuer jusqu’à Praz de Fort (Bernard y avait abandonné l’année dernière) et même jusqu’à Champex. Ensuite,… ensuite on verra … En traversant la grande salle d’accueil, je me rends compte que nombre de coureurs ont jeté l’éponge ici ! Ils attendent qu’une navette les amène à Champex puis de Champex à Chamonix ! Je suis plus forte qu’eux. Je vais me battre.
Nous sommes en Suisse et la table qui s’offre à nous est superbement bien garnie. Il y a même du chocolat, du chocolat suisse. Je félicite la dame qui s’active, veille à ce que rien ne manque. Je la remercie. Elle est ravie.
Dehors, il fait nuit noire. Les rangs se sont bien éclaircis. Un concurrent se tient près de la porte, prêt à partir. Son dossard annonce Philippe.
« Vous partez ? Je peux me joindre à vous ? » lui demandai-je.
Un ami le rejoint. Nous voilà en route.
Il reste 14 kilomètres jusqu’à Champex. La seule difficulté est une main courante à mi distance. Il faudra faire attention !
Philippe est de Bourg-en-Bresse, Jean-François de Sallanches. Il a reconnu l’intégralité du parcours et s’inquiète de la suite : « Bovine sera terrible. Il faut en garder sous la semelle ! » Il ralentit. Philippe et moi poursuivons sans lui, d’un bon pas. Il pleut toujours. Philippe est couvert d’un poncho noir qui lui arrive aux genoux, serré à la taille avec l’élastique du dossard. Il n’a plus qu’un bâton, a cassé l’autre avant Courmayeur. Je le suis, il me fait penser à un chevalier avec son épée. Manque le destrier ! J’ai sommeil et je crois que je délire un peu. Je dors. Je dors debout ! Sommeil ! Je titube, je vais de gauche à droite sur le sentier ! Je dors ! Je me crois à Dos d’âne. J’ai peur de tomber ! Heureusement que le chevalier est là !
Dimanche 27 août 2006, 1 heure 06 - kilomètre 117 - Ouf ! Champex !
